mardi 6 février 2007

L’Egypte et la course aux étoiles...



L’Egypte pour destination cette nuit. Ce pays qui m’a tant fait rêver enfant par les mystères et la richesse de son histoire. Un vol Prague – Hurghada – Brno, décollage prévu a minuit quinze. Une longue rotation, près de 10h de vol au total et un petit bémol au retour : deux heures de bus après notre atterrissage pour rentrer à Prague.

Je me couche à 18 h espérant réussir à trouver le sommeil. Une heure plus tard les opérations m’appellent. Le vol est retardé à 2 h du matin l’avion arrivant en retard du vol précédant. Je change le réveil d’heure, appréciable quand on est en demi sommeil….

La route déserte ensuite, la nuit, les lumières si spéciales de l’aéroport. J’arrive pour le briefing, 1h30 avant le départ. J’imagine les passagers en partance pour des vacances au soleil en train d’attendre depuis trop longtemps sans doute l’avion et son équipage. Notre personnel de bord va devoir une fois de plus gérer les grimaces. Nous sommes privilégiés à l’avant à ne pas avoir à être confrontés directement à nos clients

Nous décollons a 1:29 UTC. Le capitaine m’a laissé être PF sur la branche aller. Suite à un vol précédent ensemble, je sais qu'il n’aime pas trop devoir voler avec un pilote qui ne parle pas tchèque. J’apprécie qu’il me confie la perspective d’un atterrissage plus exotique que les habituels européens. Assez rapidement, poussées des moteurs sur le mode CLIMB notre A321 nous mène au dessus des nuages et nous virons sur un cap sud est en montée vers le niveau 350. En 25 minutes et quelques procédures et check-lists plus tard nous sommes en croisière a Mach 0.79. Rangement des Jeppsens, sortie des cartes En Route, calcul des estimées des prochains points de notre plan de vol et je diminue légèrement les lumières du cockpit. Peu à peu la danse des étoiles ouvre son spectacle et je sais que je vais devoir me méfier de leurs berceuses.

02:20 UTC, On passe avec Belgrade qui nous donne tout de suite un direct sur le point RAXAD, sortie de sa zone de contrôle, l’avantage de la nuit. Du coup nous virons de 15 degrés droite pour nous établir au cap 145. Jusqu’alors Jupiter, visible ce soir et proche de la constellation du scorpion nous tenait lieu de point de mire, à présent nous visons la constellation de la Balance sous le regard très éclairé de la lune.

Je sais que je survole la terre et qu’au dessus se dessine l’espace. C’est une interprétation de mon cerveau. Mais la vision primaire de mes yeux est simple : de partout, du noir et des lumières… Des lumières plus vives au sol, rapprochées, souvent nimbées de rouge comme de minuscules pores de laves et au dessus le grand noir et ses oasis qui scintillent. Mon esprit s’évade. J’ai devant moi la réalité de notre monde quand il n’est pas éclairé par le soleil. Une planète en mouvement se déplaçant dans un grand vide noir avec, au loin, ces minuscules lumières, ces manifestations d’autres lieux, d’autres possibles que le néant. Étoiles, galaxies, constellations offrant leur spectacle aux hommes accrochés à leur vaisseau spatial. J’ouvre grand mes yeux et intercepte le maximum de photons arrivant de si loin. Ces voyageurs ont mis des millions, des milliards d’années pour traverser tout cet espace et échouer au fond de ma rétine. Je contemple ce passé avec sourire. Cette étoile existe-t-elle encore dans cet instant présent? La pince du scorpion sera-t-elle toujours représentée par cet éventail de trois étoiles dans un million d’années ? Autant de non réponses et de vertiges face à tant d’immensité. Mais déjà un changement de fréquence me sort de mes rêveries ainsi qu’un ridicule plateau repas…

Passage avec Skopje Radar, direct sur le VOR SKP, direct sur Athènes… Bientôt Macadonia radar et le claquettement du grec dans les phrases des contrôleurs… Le Cdb ne dit pas un mot depuis le départ, il est plongé dans les FCOM et semble s‘ennuyer… Je tente quelques discussions sans succès. Barrière de la langue et pas de désir affiché de sa part pour communiquer donne une ambiance tristoune a ce cockpit. Tant pis, j’ai un super spectacle devant moi, je re-essaierai plus tard…

Le bord de mer approche avec la ville de Thessaloniki accrochée au rivage. Les lumières scintillent du fait des différences de températures du sol. Parfois toutes ces lumières me font vraiment penser à un volcan, faisant même surgir l’idée de cancer. Vision de tumeurs rougeoyantes accrochées à la terre tel un lierre étouffant… C’est à la fois beau et inquiétant.

Le scorpion monte sa pince de plus en plus haut au fil de notre descente au sud. Nous survolons la mer Egée après avoir laisser sur notre gauche la presqu'île de Khalkidhiki dessinant 3 doigts de terre avançant dans la mer et dont l’un deux porte le mont Athos.
Je grimace devant le minuscule plateau repas. Nous sommes sur un vol charter et comme à chaque fois nous avons droit au même plateau repas que nos passagers : la ridicule barquette contenant un semblant de pattes ou de riz. Ces vols là sont les plus longs pour nous, amplitude de 12h, 10h de vol et on nous sert de la M... Alors que sur les vols réguliers nous avons des plateaux très corrects… et …et …. Et finalement je souris, pensant à un ami pilote cherchant du travail qui me dirait " tu te plains ? “

03:50 UTC on passe à l’ouest de Héraklion, la Crête est sous les nuages et nous prenons un cap sur Alexandrie. Déjà la nuit devient bleutée à l’est sur l’horizon et un fin trait rouge fait son apparition, le soleil n’est pas loin. Les anciens égyptiens interprétaient le lever de soleil par le Scarabée Khépri poussant devant lui Ré (le soleil) hors du Noon… 4000 ans plus tard je continue à m’émerveiller devant ce spectacle. Nous pouvons expliquer physiquement aujourd’hui ces jeux de lumières naissantes par les équations de Maxwell. Il y a sans doute de quoi écrire une infinité de lignes de calcul sur le sujet, mais pour ma part, dans cet instant, mon cerveau semble tourner au ralenti, juste appliqué à suivre l’apparition des diverses couleurs rouge puis dans l’ordre jaune, vert et bleu formant ce spectre chaleureux. Je garde un sourire à cet idée d’un petit animal poussant devant lui sa descendance pour un éternel renouveau…

Petit à petit les étoiles s’effacent devant l’avancée des photons solaires se diffusant dans l‘atmosphère. Le scorpion résiste brièvement dardant sa pince au firmament avant de s‘incliner, Jupiter affiche une résistance vacillante mais déjà la constellation de la Balance à rejoint le royaume des symboles humains. La grande Méditerranée sombre s’étale à présent devant nous. Combien d’histoires, de légendes et de civilisations sont nées du bord des ces eaux. La Grèce, la Crête, l’Egypte, les Phéniciens, Carthage, autant de noms qui continuent aujourd’hui à porter l’histoire.

Turbulences soudaines qui me font lâcher le portable et me préparer aux commandes. Le pilote automatique tient malgré des turbulences violentes. Je réduis à mach 0,76 ce qui me donne autant de marge de sécurité pour la vitesse entre le Mach maxi et la VLS. Cela dure 10 mn, je propose de monter au 370 même si on risque de refermer le domaine de vol, au pire on redescendra. Pari gagnant ça devient plus calme en quelques minutes… Clin d’oeil de l’histoire? Éternuement d’un vieux dieux grec tel Poséidon ou Hélios allongé quelque part ?

Dans ce jour naissant on distingue peu à peu la cote égyptienne. Direct sur le VOR DBA a l’ouest d’Alexandrie proche d’un célèbre lieu qui en 1942 opposa les forces de l'Afrika Korps commandées par Rommel et italiennes aux forces britanniques de Montgomery : El Alamein.
On plonge dans le désert et l’ancienne oasis El Fayoum se dessine discrètement dans des ombres lactées.

04:35 UTC un franc rayon de soleil surgit de l’horizon. On dirait que la lumière souffle tout le paysage au dessous, les vagues sur le sable du désert donne une impression de houle crée par la lumière poussant le monde sous son parcours… Descente dans 23 minutes. La radio du Caire est une horreur, saturation de la fréquence en permanence, on tend l’oreille et on fait répéter. Dernières infos météo de Hurghada, QNH 1011, vent du 310, 12 noeuds, ce sera la VOR 34. Je prépare l’arrivée au MCDU tout en espérant une approche à vue, VOR HGD 4000 pieds et grand virage main droite sur la mer avant la finale.

Nous entamons la descente après avoir passé le Nil. No speed limit, ce sera 320 noeuds jusqu’au niveau 120. Nous passons une barrière de reliefs escarpés dont les arêtes sont rouge vif avec ce soleil naissant. Le mode TERRAIN est enclenché sur le ND même si nous sommes à présent dans des conditions acceptables de visibilité. Autorisés à l’approche à vue après que le contrôleur nous ait identifié à la verticale de l‘aéroport. Tout en réduction de vitesse je coupe l’autopilote, descente vers 2000 pieds et au cours du derniers virage avant l’alignement demande en séquence les volets 1, puis 2, le train puis les volets 3 . Finale, volets full, Check list avant atterrissage et un toucher tout en douceur a 05:18 UTC, dégagement par la droite. 5 minutes de taxi, le parking et les équipes qui prennent d’assaut notre vaisseau, l‘éventrant pour un retirer toute la substance touristique et le remplir a nouveau….

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Plus tard vol retour,

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07:17 UTC. On est repartis depuis une heure de Hurghada. Décollage en 34 sur la mer rouge qui au milieu de son bleu profond nous a montré une fois de plus des îlots de turquoise et ses rives arides se poursuivant sur des déserts auburn… Le Monastère Saint Catherine est quelque part dans ce mont Sinaï sur notre droite… Un des point qui nous est donne KAMIS me rappelle un de ces légendaires pharaons : Kamosé ou Kamosis selon les traductions. Fils de Séqénenré Taa 2 et frère de Ahmosis il fut un des grand acteur de la guerre menée 1500 ans av JC par les princes thébains aux Hyksos qui avait envahi le nord de l‘égypte. L’histoire dit qu’il a été tué au combat comme son père et que son frère a remporté la victoire finale sur l’envahisseur posant les bases de la 18e dynastie et initiant l’une des plus faste époque de l’Egypte pharaonique : le nouvel empire…
Peut être ce pharaon est il passé en char dans ce désert 3500 ans avant que l’on définisse de nos jour ce point par N29 17.0 E032 36,1 …
Un virage nord ouest nous emmène ensuite sur le Caire et la visibilité nous permet d’observer du sud au nord les deux pyramides du roi Snéfrou à Meidoum , la pyramide à degrés de Djoser à Saqqarah et enfin les trois célèbres pyramides de Gizeh . Ces dernières semblent livrer un combat depuis leur plateau de calcaire contre ce monstre urbain qu’est la capitale. Noirceur et pollution face à l’éclat des faces inclinées des dernières sépultures de Chéops, Chéphren et Mykherinos…

Cap sur Alexandrie. Je souris en pensant à cet instant, Je suis assis face à un des plus beau bureau du monde, à une altitude proche de 11000 m filant dans un tube pressurisé à près de 850km/h. Je tapote sur ce clavier alors que plus bas, les nuages dessinent des mosaïques ombragées sur la cote égyptienne… Émerveillements et fatigue, dernière lutte à vivre pour ce retour vers l'Europe centrale. La grande mer à nouveau et la république Tchèque dans 3 heures, au revoir la terre noire...

3 commentaires:

  1. Très joli texte !

    Tu n'écris plus sur ton blog ?

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  2. Je suis en cours de "mises en ligne" des écrits donc de nouveaux vont suivre mais merci pour ce premier message

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  3. Je viens de voir que tu as posté de nouveaux messages, c'est cool, merci !

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